« J’étais prêt à tout »

Je crois que ce que nous attendons tous, nous les personnes marquées au fer rouge par l’addiction à la pornographie et à la masturbation, c’est que quelqu’un nous dise que c’est possible d’en sortir, et que c’est vrai. Que d’autres l’ont déjà fait et que d’autres encore sont aujourd’hui même en route pour s’extraire de cette torpeur malsaine, comme nous. Quand nous n’arrivons pas à trouver la force d’en sortir nous-même, nous avons avant tout soif d’espérance, d’un regard sur nous qui ne juge pas et en qui nous pouvons avoir confiance. D’un regard qui y croit pour nous et dans lequel nous pouvons puiser cette première goutte d’espoir. C’est pourquoi il est essentiel de mener ce combat en étant accompagné, et si je voulais qu’il ne reste qu’une chose de ce témoignage, ce serait que vous puissiez croire que c’est possible.

Un jour, n’en pouvant plus de m’enfoncer intérieurement dans cette addiction, j’ai décidé d’utiliser ce même outil qui me détruisait au quotidien – Internet – en y cherchant une solution avec force et rage, suppliant le Seigneur de m’aider, ne désirant que m’extirper de cette paralysie intérieure. Dix ans, je fêtais mes dix ans d’addiction à la pornographie et à la masturbation, après avoir découvert à l’âge de onze ans que mon propre père était lui-même une victime de ce fléau. Ce fut un héritage immensément lourd à porter pour l’enfant que j’étais. L’image du père et la cohérence de l’éducation que j’avais reçue s’effondrèrent. Soudain, je n’étais plus enfant. Ce que j’avais vu avait violé mon enfance et détruit ma relation avec mon père, la remplaçant par de l’incompréhension, puis de la violence. Je sais aujourd’hui que ce qui anime ma démarche, c’est d’épargner ce fardeau à mon enfant, de rompre le maillon de la chaine de l’héritage.

Avec le temps, ma dépendance se transforma peu à peu en une seconde peau, m’empêchant d’être moi-même, de naître au monde, d’ouvrir les bras à l’existence. L’addiction à la pornographie était comme une camisole de force intérieure. Tout mon être était tourné vers une boule en moi-même que je haïssais, qui me dominait, mais dans laquelle je me réfugiais. Tout le mouvement de mon corps et de mon esprit se tournait au-dedans, tel un fœtus apeuré, incapable de vivre dans notre monde. Ce fut cela pendant des années. L’addiction était une prison dans laquelle je fuyais et me réfugiais, dans laquelle je me fuyais moi-même et fuyais le monde. C’était un auto-enfermement, j’étais mon propre geôlier, prisonnier et malheureux.

Vraiment, après dix ans, je n’en pouvais plus. Ma peau comme prison, esclave d’une force en moi-même bien plus forte que moi. Ce jour-là, en cherchant, je suis tombé sur plusieurs sites et plusieurs ouvrages que j’ai rapidement achetés et consultés. J’étais prêt à tout. Tout valait mieux que de continuer comme ça. C’est cet élan qui m’a sauvé en réalité. Ce n’était pas un élan de volonté au sens où je promettais à tous les dieux et à moi-même une fois de plus de ne plus jamais aller sur des sites pornographiques. Ça ne marchait jamais et j’en sortais déçu et dégouté de moi-même. Non, c’était différent. C’était la volonté d’en sortir coûte que coûte, de prendre d’autres armes, d’autres moyen que la confrontation directe qui ne faisait que me décevoir et me rabaisser.

Je peux dire que ma vie a changé en décidant d’ouvrir le livre Sortir de la pornographie aux Éditions de l’Emmanuel et de vivre sur la période de Carême le parcours « Libre pour Aimer ». Pour moi, c’était la première fois qu’une porte apparaissait devant moi, laissant entrevoir en son entournure un filet de lumière porteur d’espérance. Pour la première fois je me suis mis à y croire, après dix ans de pratiques masturbatoires, de relations sexuelles plus ou moins équilibrées et d’addiction à la pornographie. Je sais que, le dernier jour, au soir de Pâques, quand j’ai brûlé dans mon petit jardin la lettre que j’avais écrite et qui comportait le récit confessé de ces années d’aliénation, je sentais que la suite n’allait plus être pareil. Le poids n’était plus le même. Un goût de liberté me fit sourire, je ressentais au cœur une joie vraie et authentique.

Ce fut là mon erreur que de penser que le dernier jour, la dernière page du parcours tournée étaient en réalité la fin du chemin. J’ai toujours aimé l’efficacité, les cases cochées, les listes rayées, les points finals… J’aime finir une étape, ne plus y penser et en commencer une nouvelle. En réalité, après avoir tourné la dernière page du livre, il y avait toutes les pages blanches de ma vie qui se présentaient à moi ; et si le parcours m’avait guidé et soutenu quelques temps, c’était à moi de prendre le relais, comme une invitation de passer de l’enfance à l’âge adulte. Ce parcours n’était pas une case à cocher. C’était le bâton que m’offrait Dieu pour poursuivre la route. C’était le premier (grand) pas sur le chemin, ouvrant sur les pages blanches de nos vies à écrire. C’était le nouveau parcours qui s’ouvrait à moi, c’était le parcours d’une vie. Mon erreur était de croire que je n’aurais plus besoin de bâton. Mais Jacob à la hanche blessée par le combat avec l’ange dans l’Ancien Testament (Gn 32, 25-29) boitera sans doute le restant de sa vie. Et Jésus au paralytique lui dit bien : « Prends ton brancard et marche. » (Mc 2, 1-12). Moi je devais comprendre humblement que cette blessure, même si elle était guérie, m’accompagnerait avec le bâton de marche. Les dures soirées d’hivers solitaires où elle me brûlerait à nouveau, j’aurai ce bâton qui sera aussi ma mémoire.

J’ai fait un parcours exemplaire. Je l’ai fait assidûment, presque orgueilleusement, me sentant fort, en brave combattant vainqueur bataille après bataille de cet ennemi en moi qui m’avait asservi toutes ces années. J’achetais toutes les références bibliographiques, les lisais, prenant des notes, prévoyant des retraites spirituelles… Le dernier jour du Carême passé, je rangeais mon épée, me croyant libéré de mon ennemi définitivement vaincu. Je ne le voyais plus, j’étais sorti de la pornographie, c’est alors que je ne me méfiais plus. Les mois ont passé et, ma garde baissée, j’ai perdu une bataille, puis deux, puis trois… Ce que l’on appelle des « chutes », des genoux à terre. Et comme nous sommes des êtres terriblement intelligents, nous cherchons les moyens de déguiser le nouveau virage que nous prenons pour ne pas voir que, finalement, nous ne sommes pas encore libres et que la liberté face aux addictions n’est pas quelque chose qui est gagné en une seule bataille. Ce n’est pas une case qui se coche, il faut en faire le deuil. La bataille pour la liberté c’est chaque jour, je dirais presque chaque regard. Et, finalement, la gloire baignée d’orgueil s’est petit à petit transformée en humilité et en miséricorde envers moi-même, de reconnaître que je n’étais « que » humain et donc pauvre.

Alors le premier conseil que je me permets de vous donner à l’occasion de ce petit témoignage, ce serait de rester prudent et de ne pas oublier qu’il n’y a pas de dernières pages au parcours. Ne partons pas sans bâton, même si nous pensons en avoir la force. Notre première force sera l’humilité.

Mon deuxième conseil que j’ai moi-même bien du mal à appliquer parfois, c’est de diminuer sa confiance en nos propres forces pour augmenter notre foi en la grâce et les fruits de notre relation à Dieu à travers la prière. C’est de changer de logique : passer de la force à l’abandon et à la tendresse, du besoin de maitrise à l’acceptation que le temps est un allié et qu’il faut travailler avec. C’est de passer d’une posture inhibée et repliée à un déploiement du regard sur le monde. Il n’est plus question d’efficacité mais de chemin. Mais je vois, et ma vie en témoigne, qu’a posteriori les fruits sont plus grands que ceux que j’ai pu récolter par mes propres forces.

Mon troisième conseil serait de ne pas oublier qu’après avoir tout fait, il s’agit de ne pas oublier le but ultime qui est d’aimer avec toutes les déclinaisons que cela peut comporter. De ne pas oublier le titre du parcours… Je m’étais tellement concentré sur cette addiction que j’en oubliais la cause : la liberté pour aimer. Vouloir être le plus pur possible mais le cœur sec d’amour en oubliant de vivre, de travailler, de cultiver nos talents et leur mise au service, d’aimer une femme « comme le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle » (Eph 5, 25), et de mettre notre force dans la venue du Royaume de Dieu.

Pour finir, j’ai le sentiment que nous avons à redécouvrir le sens des rituels. Le parcours en propose un certain nombre. Je crois que c’est une bonne chose de faire des pas qui s’inscrivent dans le concret qui balisent le chemin au fil du temps et à travers la réalité. Ils donnent la sensation d’avancer, et donc la force de continuer. Des rituels de passage, des petits rituels réguliers qui nous aident et nous font du bien. Ils sont autant de petits pas sur le chemin, de lumières éclairant la route déjà parcourue.

Alors je vous assure, je vous écris ce que j’ai toujours rêvé de lire, oui, c’est possible d’en sortir, oui. Oui c’est possible d’avancer, de changer les choses, d’évoluer. Oui, c’est possible de sortir de la pornographie, la question est : le voulons-nous vraiment ? Que désirons-nous ardemment au fond de nous pour notre vie ? Comment voulons-nous aimer l’être aimé ? Quels moyens sommes-nous prêts à mettre en œuvre ? Sommes-nous aujourd’hui prêts à faire un premier pas, même petit, minuscule à la hauteur de ce que nous pouvons ? Être en chemin c’est déjà en être sorti dans un recoin de notre âme. Nous ne sommes pas des êtres parfaits, mais il y a trois petites choses qui font la différence : nous ne sommes plus seuls, nous sommes en chemin, et nous croyons en l’espérance que les choses peuvent changer. C’est ce chemin qui construit qui nous sommes, et c’est un chemin à reprendre tous les jours. La garde se doit de rester levée car sur ce monde l’ennemi est proche et notre hanche boitera toujours. C’est le constat que je fais deux ans après avoir vécu ce parcours. Nous serons toujours marqués, mais non plus terrassés. Alors fort de ce qui se vit dans ce parcours, je ne peux que vous souhaiter la bienvenue sur le chemin escarpé de ceux qui veulent être libre pour aimer.

Marcelin, 27 ans