Sauvé de la honte (Paul)
J’ai découvert la pornographie vers 15 ans, à travers une revue érotique apportée par l’un de mes amis et par des BD pornos au collège. Puis ce fut par la transgression d’un interdit posé par ma mère. Alors qu’elle m’avait donné l’autorisation de regarder un James Bond enregistré sur une cassette vidéo familiale, elle m’avait surtout averti de ne pas regarder après le générique de fin. L’occasion était trop belle de découvrir ce qui se cachait derrière.
Je n’oublierai jamais ces différentes premières fois. Autant les photographies et BD excitaient mes sens autant la vidéo m’a d’abord profondément secoué. Je me souviens que je tremblais de tout mon corps, que j’étais à la fois choqué et comme attiré par ces images.
Ce fut pour moi le début de l’enfer. D’abord, j’ai eu besoin de trouver d’autres vidéos ou des revues chez mes parents, n’hésitant pas à fouiller dans leurs affaires. Puis ce fut le refus d’aller à la messe avec eux le samedi soir, me laissant ainsi le loisir de regarder des cassettes pornos. Je dois préciser que ces vidéos étaient d’une qualité détestable car enregistrées depuis Canal + sans le décodeur !
La pornographie a alors envahi ma vie, annihilé ma volonté. Me mettre au travail fut chaque jour plus difficile. Il m’arrivait de refuser de passer du temps avec des amis ou de faire du sport, préférant profiter de l’absence de mes parents pour regarder un film porno.
A l’époque, la masturbation était souvent quotidienne ou pluri quotidienne. Et puis il y eu les nuits où je me levais pour regarder le film porno du samedi soir sur Canal + (toujours sans décodeur), ayant du mal – après – à trouver le sommeil.
J’étais toujours en quête, toujours à l’affût. Mon regard sur les filles et les femmes n’était pas chaste, les filles étant systématiquement déshabillées du regard. Toujours les mêmes fantasmes dans la tête, toujours les mêmes schémas : une jolie fille croisée dans la rue et tout de suite les idées de ce que nous pourrions faire ensemble.
Plus tard, au lycée, j’ai vécu ma véritable première histoire d’amour. Mais bien que l’histoire soit particulièrement belle, nous découvrons mutuellement que nous nous masturbons. La honte s’estompe un peu. Nous regardons des films pornos ensemble avec le désir mutuel de faire « comme à la télé ». Heureusement, la pudeur et la timidité ne nous ont jamais emmenés plus loin que des caresses. Pour autant, sans que nous en prenions réellement conscience, la pornographie envahissait jusqu’au plus intime de nous-mêmes, trompant notre désir, notre chasteté, abîmant nos regards et notre imagination. Tel un ver, la pornographie s’infiltrait partout, elle rongeait tout. Il faut l’admettre, les images restent longtemps pour ne pas dire – pour certaines – à jamais imprimées dans nos têtes.
Toutefois, il me faut admettre que certains points me dérangeaient quoique je ne prenne jamais réellement conscience du côté malsain et violent de la pornographie.
La réflexion d’une excellente amie m’a profondément marquée : « je suis tombé sur un film porno l’autre soir où l’on voyait une fille se faire sodomiser. C’était horrible, affreux. C’est vraiment dégueulasse ». J’avais regardé le film cette nuit-là, je me souvenais parfaitement de cette scène. Je n’y avais rien trouvé à redire mais sa parole m’a vraiment remué. Cette amie que j’appréciais beaucoup me mettait – sans le savoir – en face d’une réalité que je ne semblais pas voir : l’obscénité et la violence de telles images.
Toutefois, malgré ces chutes régulières et incessantes, je n’ai jamais arrêté de me confesser. J’ai toujours sincèrement demandé à Jésus de me pardonner, de m’aider à porter ma croix mais aussi de me guérir.
En quittant le domicile familial pour poursuivre mes études, je me retrouve complètement libre d’acheter des revues pornos. Me voici dans un nouveau cycle infernal.
C’est la période où je rencontre ma future épouse : la pièce maîtresse de ma planche de Salut. Je suis à la dérive, je manque de volonté, je ne suis jamais satisfait de ce que j’ai. Ma future femme – à qui j’avoue rapidement que je me masturbe – a le courage de me dire la vérité sur cet acte. Elle ne banalise pas cet acte, n’en fait pas la promotion pour je ne sais quelle raison hygiénique. Merci d’avoir eu le courage de la Vérité qui illumine, qui éclaire, cette vérité à contre-courant de ce monde fou. Pour autant, je n’avoue pas à ma future épouse mon addiction. En effet, si je suis à l’époque vaguement conscient que ce n’est pas une bonne chose, je n’ai pas encore conscience de mon addiction et de ma maladie vis-à-vis de la pornographie.
La pornographie a maintenant envahi ma vie professionnelle. Je consulte parfois des films pornos plusieurs heures de suite, plusieurs jours de suite dans mon bureau. Je pense y passer quelques minutes (pour me détendre), les heures s’écoulent. Une fois, j’échappe à la honte alors qu’une personne entre sans frapper dans mon bureau. J’ai juste le temps d’éteindre mon écran ! Je change de boulot tous les 3 ans, semblant me fuir moi-même. Je crains d’être démasqué par les personnes qui me succèdent. Je me dis qu’un jour, l’une d’entre elles découvrira les traces de mes visites sur les historiques internet et dans les fichiers cachés. Progressivement, je prends enfin conscience que je risque de perdre définitivement ma dignité et ma crédibilité.
Si cela venait à se savoir, quelle honte. Moi qui suis catholique pratiquant, qui prie en famille, qui parle de Jésus, qui fait partie d’une communauté nouvelle, que se passera-t-il si je suis découvert ? Ce serait la fin. La fin pour moi-même mais aussi pour ma famille qui subira la honte. Je ne peux pas continuer comme ça. J’ai le vertige quand je pense à toutes ces heures passées devant l’écran, à ces années de masturbation… J’ai parfois des angoisses terribles et le désir de mourir…
En 2004, je décide de consulter une psychothérapeute mais de ne pas révéler tout de suite la raison de ma venue. J’explique à mon épouse que, souhaitant guérir de mes angoisses de la mort, je vais consulter. Après trois séances, j’avoue à ma psy ma réelle motivation à venir la rencontrer : je n’arrive pas à sortir de l’engrenage du porno. Sa réponse me laisse sans voix : « je le savais, mais je me demandais quand vous m’en parleriez ».
L’échange qui suivi fut pour moi un choc : « Monsieur vous n’êtes pas le seul et cela prend aujourd’hui de graves proportions ». Je comprends que d’autres hommes souffrent comme moi et que cela est grave car nous n’arrivons pas à nous arrêter.
Je découvre ensuite – second choc – que je suis addict, que je suis malade. Ça y est le mot est posé. J’ai une maladie grave. Le combat ne fait que commencer. J’aime ce mot, combat. Il me parle. Pour autant, une fois les mots posés, je mesure que la route loin d’être longue sera perpétuelle. Le combat ne sera jamais fini. Il sera donc épuisant. Je vais progressivement découvrir qu’il est aussi source de paix, de joie, de force. Source d’une indicible liberté toujours ténue et fragile, mais d’une liberté baignée de la Lumière du Christ. La grâce agit. Merci Seigneur.
Revenant à la maison après cette séance épuisante, ma femme m’interroge sur ma progression vis-à-vis de mon angoisse de la mort. Je craque et pleure toutes les larmes de mon corps. « Chérie, je suis malade. Si j’ai effectivement un problème avec la peur de la mort, j’ai surtout une addiction terrible : je suis porno-addict ». Nous prenons le temps de parler. Je sens qu’un poids terrible quitte physiquement mon corps. Je me sens d’une certaine manière plus léger.
Pour autant je redoute la sentence de mon épouse, le rejet, la honte, le dégoût. Ne serait-ce pas légitime de rejeter ce mari qui, lorsqu’il s’unissait à elle, le faisait, parfois ou souvent, des images de films pornos plein la tête. Ne serait-il pas légitime de rejeter ce catholique faux, cet homme à double personnalité : le côté lisse et propre sur lui, et cette face terriblement obscure ? Ne serait-ce pas légitime de rejeter un homme si l’on peut pour le moins douter de la sincérité de ses sentiments, douter de la vérité de son amour ?
Et pourtant dans ce qui fut un moment des plus déstabilisants, des plus violents, c’est l’amour que ma femme m’a donné. Je ne dis pas que l’acceptation d’une telle vérité fut facile (il y eut de nombreux remous longtemps après coup) mais c’est d’abord un élan d’amour, un élan du cœur, une force d’âme qui a accueilli mon énorme faute, mon indicible péché. Combien, à raison, auraient voulu fuir, s’éloigner. Non, ma femme m’a accueilli comme un fils prodigue. J’ai vécu l’évangile.
Tout n’a pas pour autant été facile. On ne quitte pas une addiction du jour au lendemain. Elle est encore présente aujourd’hui mais avec beaucoup moins d’acuité. Je le sais, je ne suis pas définitivement guéri. Le démon utilise encore certaines de mes blessures, certaines de mes fragilités pour me faire tomber.
Je voudrais ici partager des points essentiels sur mon chemin :
- Le désir de conversion. Rien ne sert de vouloir s’en sortir sans véritable désir de conversion, car c’est de conversion dont il s’agit et pas seulement de guérison.
- l’importance de la confession. Quelle joie de se savoir aimé et pardonné par le Christ Jésus ! La confession remet les compteurs à zéro et permet un nouveau départ libéré du poids de la honte, du péché.
- la puissance de l’amour scellé dans le sacrement du mariage. Que serais-je devenu sans ma femme ? Je ne serais sans doute plus de ce monde aujourd’hui, le désespoir de s’en sortir étant parfois tellement fort.
- l’importance de rencontrer des personnes spécialisées dont c’est le métier. La confession est essentielle mais l’accompagnement psychologique aussi. Pour moi, il fut déterminant. On ne s’en sort pas tout seul,
- le jeûne. Combien de combats gagnés en exerçant le jeûne et l’ascèse : jeûne du regard, des écrans, de la nourriture.
- une retraite pour accueillir le salut offert par Jésus.
- La prière d’adoration fréquente, où le Christ réellement présent continue son œuvre de rédemption en moi.
Aujourd’hui, je crois que Dieu, loin de m’avoir abandonné, est toujours avec moi dans ce combat. Les signes de sa bienveillance ne manquent pas.
Le regard de la foi : vainqueur de l’Accusateur
Dans la Bible, Dieu n’accuse jamais le pécheur de son péché. Quand Adam et Eve ont péché (Gn 3), Dieu ne leur reproche pas. Il cherche seulement à retrouver ceux qui se sont éloignés de lui : « Adam, où es-tu ? ». Mais par la suite Adam accusera Eve et Eve accusera le serpent.
De même Jésus n’accuse jamais les pécheurs qu’il rencontre sur sa route. A la femme adultère, que les anciens accusent de son péché devant lui, Jésus dira : « je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus ! » (Jn 8, 11).
A l’inverse, le démon accuse le coupable, au creux de sa conscience. Quand il a fait tomber une personne dans un péché grave, il l’accuse intérieurement pour le torturer et le faire tomber dans la désespérance.
Jésus, dans son ministère et pendant sa passion, sera accusé de très nombreuses fois. Jamais il ne répondra par des accusations. Par sa résurrection, il sera victorieux du démon, pour que nous ne soyons plus victimes de son accusation permanente. « L’accusateur de nos frères est rejeté, lui qui les accusait jour et nuit devant notre Dieu. Ils l’ont vaincu par le sang de l’Agneau. » (Ap 12, 10-11).
Face à l’accusation, qui vient toujours du démon, l’Adversaire, il faut toujours se rappeler notre dignité d’enfant de Dieu : « je suis le fils de Dieu, la fille de Dieu ! Rien de moins ! »