18e jour : personne ne reconstruira à ma place ! (Antony)

Extrait du témoignage publié par François de Saint Blanquat, deux mois chez les tox, une expérience de vie dans la communauté du Cenacolo, 2010

J’ai 22 ans. Papa était un ancien hippie, il a commencé à se droguer à l’âge de 12 ans. Et Maman, elle a eu une vie horrible, vraiment très difficile, un peu comme la mienne. Ils se droguaient à la dure. Quand ils se sont mariés, ils ont arrêté. Mon père travaillait énormément, comme rénovateur dans le bâtiment. Il n’était jamais à la maison. Ma mère est retombée dans l’héroïne. J’ai vécu 4 ans avec elle. Je me souviens de Maman qui dormait le jour et qui vivait la nuit. Et moi, à 3 ou 4 ans, j’étais livré à moi-même. Un jour je suis rentré dans la salle de bain, Maman s’était taillé les veines. J’ai été placé dans une famille. C’étaient des gens extraordinaires, un couple chrétien, qui m’a appris à prier. La femme est devenue « ma grand-mère » adoptive.

Hélas, à l’âge de 6 ans, j’ai vécu des violences, des attouchements. A mon tour, je suis devenu très violent avec les filles à l’école. Puis, je suis devenu boulimique, à l’âge de 8-9 ans. Puis, je suis retourné avec ma mère. Mais ça a été un calvaire. Ma mère mélangeait les médicaments avec l’alcool. A 11 ans, j’avais la charge de mon petit frère. Puis mon adolescence a été très troublée. J’étais très mal dans ma peau. J’avais la haine de ma mère, la haine de la vie en général.  A 16 ans, je suis rentré dans une école hôtelière. Je vivais avec mon père.

A cette période, j’ai découvert que quand je fumais des joints, que quand je picolais, je prenais du plaisir, je ne souffrais plus, je ne pleurais plus le soir dans ma chambre. J’arrivais à anesthésier mes souffrances. Je pensais que cela allait enlever mon mal-être.  C’était magique, j’avais de l’argent (que je volais), je commençais à être respecté parce que je faisais des conneries. La drogue m’a ouvert la porte de l’illusion, d’être vraiment reconnu et aimé. Elle me donnait des sécurités à l’intérieur de moi, qui étaient irréelles.  Et cette illusion m’a détruit. Je ne faisais plus la différence entre mes mensonges et la réalité. Cela a créé à l’intérieur de moi une confusion. J’ai commencé à détruire les personnes qui m’aimaient, parce qu’elles me disaient la vérité et que ça me foutait la trouille. J’étais violent, menteur, voleur et invivable. J’ai commencé à détruire la famille. Mon père m’a pris à part et m’a demandé de faire un choix ; Je me suis barré et suis allé dans un centre. Pendant deux ans, j’étais incapable de m’aimer. Et donc, je me suis humilié de toutes les façons : séjours à l’hôpital psychiatrique, tentatives de suicides, boulimie, anorexie, sexualité débridée….  A 18 ans, j’ai pété les plombs et crié vers Dieu : « Ecoute, si tu es là, tu me donnes quelque chose maintenant. »

Quelques jours après, j’ai connu la communauté du Cenacolo au cours d’une soirée de témoignages. Je me suis battu pour aller avec eux. Il fallait pour cela que j’arrête les médocs. En arrivant, j’ai dit à celui qui m’accueillait et serait mon parrain : « Je te laisse trois mois. Si dans 3 mois, je n’ai pas changé, je m’en vais et je me fous sous le train ». Je faisais souffrir mon parrain, je l’ai insulté, j’essayais de le frapper. Mais je voyais sa fidélité. Cet amour gratuit m’a sauvé la vie.

Je portais une grande souffrance en moi. Je devenais fou et parano. Les moments de prière étaient très durs pour moi. Devant le Saint-Sacrement ou pendant le chapelet, tout revenait dans ma tête. Pendant des mois, j’étais une loque, je n’étais même plus violent. Pendant six mois je n’ai pas parlé.

Je me suis rendu compte que je pouvais amadouer les autres. Une fois, j’ai dit au responsable de la maison : « Tu sais, je suis jeune, j’ai 18 ans… Ma maman, elle m’a abandonné… » Et il m’a dit : « T’arrêtes de pleurnicher ? T’as été abandonné par ta mère, mais tu as tes deux bras et tes deux jambes ! Tu arrêtes de pleurnicher comme un pauvre con, hein ? Et en pleurnichant, tu vas finir comment : assisté toute ta vie ? Tu vas te mettre à te battre. Dans cinq ans, c’est toi le père de famille, mon gars. Tant que tu pleures… Je vais te foutre des baffes ! » Ensuite ça a été une année de feu.

Un jour, je suis rentré dans la chapelle et j’ai pété les plombs : je me suis mis à genoux et j’ai dit : « Mais tu es où, toi ? On m’a dit que tu allais me sauver la vie, que tu allais me donner envie de vivre, mais c’est tout le contraire ! Pourquoi j’ai été abandonné, pourquoi ma mère elle s’est shootée devant mes yeux, pourquoi j’ai vécu tout ça, pourquoi je n’arrive pas à me lever le matin avec l’envie de vivre, pourquoi j’ai toute cette haine, pourquoi j’ai envie de mourir ? T’es où ? Tu te montres ou tu restes caché ? » Ce jour-la, ça a été un miracle : j’ai vraiment compris que je n’étais pas tout seul. Ce jour-là, j’ai vraiment compris que j’étais blessé, qu’il fallait que je guérisse.

Mais notre prière, cela vaut rien si on n’a pas de volonté. Dieu nous laisse libre dans notre volonté. Et moi, il a fallu que je me dise : « Je vais me battre » Et ça, c’est ma volonté. La prière m’a donné la force. Mais c’est moi qui ai dû faire le pas : « Maintenant, j’arrête de me plaindre, je vais me battre comme un homme, parce que je refuse de vivre comme ça et je refuse d’être assisté toute ma vie, de fuir. »

A ce moment, j’ai souffert encore plus qu’avant. Ce n’était plus une souffrance qui m’humiliait, c’était une souffrance qui me donnait la force. C’est là que j’ai commencé à aider les autres garçons, à construire mon premier mur de ciment. J’étais capable de faire des choses.